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Crampons et incompétence (à Montréal) - La Presse

Yrys

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Crampons et incompétence, Rima Elkouri

C'était devant le Théâtre Saint-Denis, l'autre soir. Une foule joyeuse se pressait
aux portes du théâtre pour le spectacle de Winnie l'ourson. Mais le spectacle était
avant tout à l'extérieur, sur la glace vive qui faisait office de trottoir. Des véritables
Ice Capades improvisées mettant en vedette des parents et leurs enfants. Des
valses périlleuses, des chutes en domino, des fractures évitées de justesse. Un
numéro tragicomique de toute beauté. Avis à Marcel Tremblay: ce n'est pas des
crampons qu'il fallait ici, c'est des patins.

Mon fiston de 5 ans qui vient tout juste de découvrir les pouvoirs magiques du sel
sur les escaliers glacés s'accrochait à mon manteau en valsant. En fait, pour être
honnête, c'est surtout moi qui m'accrochais à lui. «Peut-être qu'ils ne connaissent
pas ça, le sel, hein maman?» a-t-il lancé, candide, après que l'on eut manqué de
se casser la gueule. Peut-être.



La rue Saint-Denis, en plein Quartier latin, n'est pas exactement ce qu'on appellerait
une ruelle obscure de la métropole. C'est une grande artère touristique, très fréquentée.
Comment se fait-il que l'on tolère que ses trottoirs soient dans un état si pitoyable?

Petite vérification auprès de l'arrondissement de Ville-Marie, responsable des trottoirs-
patinoires du centre-ville. On vérifie. On me rappelle. Oui, c'est vrai, la situation était
«plus sévère» rue Saint-Denis, dans le Quartier latin, admet-on d'emblée. Pourquoi?
On blâme le tango de la météo, le verglas intense des jours précédents, suivi du temps
doux. On assure que les chenillettes ont tout de même fait leur travail à plusieurs reprises
dans le secteur, jour et nuit, et qu'il y a eu épandage d'abrasifs et de sel, quoi qu'on en
pense. Mais que voulez-vous, les conditions météorologiques étant ce qu'elles sont, ça
ne fonctionne pas toujours bien, ça prend parfois plus de temps...

Il y a un moment déjà que je n'attends plus grand-chose de l'administration municipale
actuelle. Je ne m'attends pas à ce qu'elle puisse avoir une vision pour Montréal. Je ne
m'attends pas à ce qu'elle transforme Montréal en Barcelone. Je ne lui demande pas
de nous faire rêver. Je ne lui demande pas de nous permettre de marcher en sandales
en janvier. Je ne lui demande même pas de colmater les cratères géants du boulevard
de l'Acadie qu'elle ose appeler des nids-de-poule.

Je lui demande pour l'essentiel deux trucs bien terre à terre: ramasser les poubelles et
déneiger la ville. Occupez-vous de l'intendance. Faites en sorte que le piéton en bottes
et sa grand-mère puissent marcher sur les trottoirs sans risquer une fracture à chaque
pas. C'est tout.

C'est sans doute dans le même esprit bien terre à terre que Marcel Tremblay, le grand
responsable du déneigement à la Ville, a suggéré aux Montréalais de s'acheter des
crampons
pour affronter les trottoirs glacés et les changements climatiques. Il a
simplement oublié en glissant un petit détail: la responsabilité de la Ville, l'essence
même de son travail. Il a bien tenté de se rattraper le lendemain en disant que la
priorité était bien sûr le déglaçage et non les crampons. Mais c'était trop tard. L'aveu
d'incompétence était déjà fait.

«Chaussez-vous mieux!» En Suisse, sous d'autres cieux enneigés, des médecins
urgentistes dont les services ont été pris d'assaut par des centaines d'accidentés
du trottoir glacé ont lancé le même message cette semaine, après avoir vu débarquer
des patients blessés mal chaussés. L'appel en soi n'a rien de scandaleux. La seule
différence, c'est qu'il vient de médecins et non du responsable du déneigement de
la Ville. Le médecin doit soigner et prévenir. Le responsable du déneigement doit...
être responsable du déneigement.

Or, chaque fois qu'il est question de tempête de neige à la Ville de Montréal, on a
l'impression que la Ville ne cherche pas tant à nous dire ce qu'elle fera qu'à trouver
des excuses pour ce qu'elle ne fera pas. On nous rappelle par exemple que les milliers
de kilomètres de rues et de trottoirs à déblayer équivalent «à la distance entre Montréal
et Beijing», comme si on voulait nous faire comprendre d'emblée que c'est mission impossible.

Hier encore, la Ville récidivait en nous envoyant un curieux communiqué intitulé «L'hiver
à Montréal - Les temps changent». «La Ville de Montréal tient à rappeler à la population
que les conditions hivernales depuis les deux dernières années sont hors des normales
saisonnières...» lit-on. Bref, la Ville vous rappelle qu'il a beaucoup neigé à Montréal.
Bref, c'est l'hiver. Mais encore?

Rassurez-vous, la Ville, ne reculant devant rien, a un plan. Elle a «adapté ses opérations
de déneigement car le contexte dans lequel s'effectue le déneigement a changé rapidement»,
nous dit ce même communiqué. Adapté de quelle façon? ai-je demandé. «Cela fait référence
aux mesures d'améliorations qui ont été annoncées l'automne dernier», m'a expliqué la porte-
parole de la «Ligne médias Neige». Ces mesures visaient par exemple à rendre prioritaire le
déblaiement des trottoirs aux abords des stations de métro et des axes prioritaires. Comme
la rue Saint-Denis? Oui, comme la rue Saint-Denis, exactement. Ainsi, si j'ai bien compris, le
splendide trottoir-patinoire du Quartier latin, c'était APRÈS les améliorations. Pourquoi donc
se plaindre?

À bien y penser, c'est Marcel Tremblay qui a raison. Devant ces monuments de glace et
d'incompétence améliorée, il n'y a pas grand-chose à faire. Courez donc - mais pas trop
vite, je vous prie - vous acheter des crampons.
 
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